A l’origine…

A l’origine notre village est un fief impérial. Il forme une communauté villageoise entièrement constituée, qui a sa propre banlieue (territoire) et sa propre administration, sous l’autorité d’un « Schultheis » ou prévôt.

Un document de 1286 fait état d’une location par l’abbaye de Niedermunster d’un bien qu’elle possédait sur le ban de Bernardswiller.

L’abbaye de Hohenbourg ainsi que celle de Niedermunster ont chacune acquis des biens situés dans la banlieue de Bernardswiller, en 1318 et 1322.

Même la ville d’Obernai, avant qu’elle ne s’intéresse au village, possédait un bien situé à BERNARDSWILLER : ce bien était contigü à la cour que l’abbaye de Hohenbourg possédait dans le village de Bernardswiller. La ville l’a vendu à cette abbaye en 1321.

D’autres titres attestent également que le village avait alors son administration propre. 

Un village convoité ...

Bernardswiller apparaît pour la première fois officiellement dans l’histoire en 1276, lorsqu’il est donné en gage au sire Walther de Guirbaden. A cette époque, le village est très convoité par les seigneurs voisins et passe des mains de l’un dans celles d’un autre. La Ville d’Obernai s’y intéresse en l’année 1330, mais malgré les bonnes faveurs de l’empereur Louis de Bavière, elle ne parvient pas à conserver son gage qui fait l’objet de luttes acharnées et sanglantes entre les différents seigneurs voisins.

L’annexion par Obernai...

Cependant, en 1349, alors que le village était engagé en faveur du Grand Bailli d’Alsace, le Landvogt Jean de Fénétrange, et avec l’accord de celui-ci, la Ville d’OBERNAI parvient à acquérir le village de Bernardswiller, avec tous ses biens, gens, us et coutumes (en alsacien on dirait «  Met Scheff und G’scherr » au prix de « 150 Marks d’argent, fin et pur, au poids de Stras bourg ». Dès lors le village est fondu dans les propriétés de la Ville d’OBERNAI : Ses habitants deviennent des « citoyens de la Ville Libre d’Obernai, habitant à Bernardswiller.

Mais s’ils ont supporté sans trop de difficultés le fait d’être engagé en faveur de tel ou tel seigneur, l’incorporation dans la propriété d’une autre commune est une situation que les habitants de Bernardswiller n’acceptent pas, eux qui jusqu’alors formaient une communauté villageoise organisée, qui avait son propre finage et sa propre administration. De plus, le commerce du vin étant prospère, les habitants jouissaient apparemment d’une relative aisance, ainsi qu’en témoigne de nombreux emblèmes de métiers sculptés dans le grès et qui ornent les cintres des portes cochères de nombreuses propriétés. Je vous invite d’ailleurs à les découvrir lors d’une promenade à travers les rues du village.

Las de cette situation de dépendance, les habitants réclament leur autonomie à corps et à cris ; toutes sortes de motifs sont invoqués, notamment des motifs religieux ce qui qui à cette époque-là revêt une très grande importance : Il n’y a pas de curé résidant pour assurer le service des sacrements et surtout, la chapelle existante est trop petite pour le nombre d’habitants.

Usée par toutes ces revendications, la Ville d’Obernai décide de démolir cette petite chapelle et de construire une nouvelle église, aux frais d’Obernai (dont Bernardswiller fait partie). Cette construction est érigée en 1495 – 1497.

Mais cela ne satisfait par les habitants du village qui persistent dans leurs revendications d’indépendance. En 1628 – en pleine guerre de 30 ans – ils demandent à être une paroisse autonome. Dans un premier temps, en 1719, le village obtient la nomination d’un prêtre ou d’un vicaire résidant : On s’organise alors localement pour assurer les subsides du desservant. Ces efforts seront récompensés puisqu’en 1790 Bernardswiller est érigé en paroisse autonome, séparée de celle d’Obernai : Le religieux a obtenu gain de cause et, comme nous le verrons, a précédé le politique. 

L’indépendance ...

Et alors, bizarrerie de l’histoire, la Révolution, malgré les ravages qu’elle a pu causer par ailleurs, est venue au secours de Bernardswiller : D’abord le droit seigneurial est aboli : On pourra maintenant argumenter sur d’autres bases. Si bien qu’un décret du 5 juin 1799 déclare BERNARDSWILLER village indépendant et séparé de la Ville d’OBERNAI : Hourras de joie, mais pas la fin des problèmes.

Le Conseil Municipal de Bernardswiller est contraint de se réunir avec celui d’OBERNAI pour délibérer en commun sur l’applications des revenus aux besoins des deux communes.

BERNARDSWILLER insiste pour demander le partage des biens au prorata des populations respectives. OBERNAI refuse. BERNARDSWILLER dépose une nouvelle requête le 3 octobre 1832 au Préfet du Bas-Rhin et demande un budget séparé.

Par arrêté du 13 juillet 1838, le Préfet ordonne d’office le partage du produit des forêts et des pâturages, considérés comme biens d’intérêt public, au prorata du nombre d’habitants : Il y a alors environ 1000 habitants à Bernardswiller et 4.000 à OBERNAI.

Le procès

Cette décision est contestée par Obernai qui actionne en justice la Commune de BERNARDSWILLER, le 25 juillet 1840.

Après signification des mémoires respectifs, un premier jugement est rendu par le Tribunal Civil de SELESTAT, le 31 juillet 1856. OBERNAI interjette appel et porte l’affaire devant la Cour impériale de COLMAR.

Après plusieurs tentatives de conciliation, les deux parties se rapprochent enfin, pour éviter une nouvelle procédure longue et hasardeuse et surtout d’un coût considérable. Elles décident de mettre fin à ce long litige et conviennent d’une transaction. Celle-ci est signée devant notaire, le 10 mars 1862 : Le procès est fini.

Immédiatement la Commune de BERNARDSWILLER décide de marquer l’évènement et de « réaliser un vieux rêve » (C’est rédigé ainsi dans les documents municipaux) : Ils démolissent l’ancienne église, celle construite par Obernai, dont la toiture menace de s’effondrer parce que les habitants de Bernardswiller avaient refusé de l’entretenir, et sans doute aussi parce qu’elle constituait pour eux le symbole de la présence d’OBERNAI dans leurs murs.

En 1866 et 1867 les habitants de BERNARDSWILLER ont construit « leur » église, financée avec « leurs » revenus, ceux de « leurs » biens. C’était pour eux certainement une action de grâce, mais sans doute aussi un symbole de liberté retrouvée. Même si aujourd’hui ont peut penser que c’était un excès de fierté, il faut toujours replacer chaque chose dans son époque et dans son contexte.  Cette église a été construite en deux ans et payée comptant, avec une coupe exceptionnelle en forêt, sans aucune aide extérieure ni subvention.

Cela donne une petite idée de la valeur que représentait à l’époque de la forêt communale. Cette forêt qui s’étend sur plus de 2100 hectares appartient encore toujours aux deux communes, Obernai et Bernardswiller, dans les proportions définies à l’époque par rapport au nombre d’habitants de l’époque :  4/5ème pour Obernai et 1/5ème pour Bernardswiller. Elle est gérée conjointement par les deux communes.

Quant aux pâturages, l’indivision fixée alors dans les mêmes proportions a été levée à l’issue d’un partage convenu entre les deux communes, de manière à attribuer à chacune des biens précis : Cela s’est passé en décembre 1982 soit près de deux siècles après la « déclaration d’indépendance » ! 

Une sérénité retrouvée

Retracer l’histoire permet d’expliquer bien des comportements et de comprendre beaucoup de réactions.

Il faut, dans bien des cas laisser du temps au temps afin de permettre aux plaies de cicatriser.  Mais heureusement l’histoire est en perpétuel mouvement. Les temps changent et les mentalités évoluent.

Aujourd’hui les esprits sont apaisés. Les deux communes, OBERNAI et BERNARDSWILLER travaillent ensemble, main dans la main, dans le cadre d’un intercommunalité active et dynamique au Pays de Ste Odile, dans l’intérêt de tous ses habitants.

 

Raymond KLEIN